L'Aqueduc de l'Avre
Aventure humaine avec ses milliers de travailleurs, prouesse technique de par sa réalisation, l’aqueduc de l’Avre demeure encore aujourd’hui un sujet d’étonnement. A cette époque l’idée même de capter des eaux de sources était révolutionnaire et seul l’entêtement de quelques précurseurs permit à ce projet de voir le jour.
L’approvisionnement en eau de PARIS
La moitié des eaux potables produites par la SAGEP (Société Anonyme de Gestion des Eaux de Paris) provient des eaux souterraines pompées dans les nappes du sous-sol ou captées à leur point d‘émergence. 94 points de prélèvement d’eau souterraine sont répartis dans un rayon de 80 à 150 km autour de la capitale. Les régions de Provins, Sens, Fontainebleau et Dreux sont ainsi mises à contribution. Ceci représente en moyenne 300 000 mètres cubes par jour. Ces eaux captées sont acheminées par 600 km d’aqueducs pour partie gravitairement pour partie sous pression.
A l’Ouest, du nouveau
L’unité Ouest produit un tiers des eaux souterraines consommées chaque jour à Paris. Cette unité assure la gestion des sources de la région de Verneuil-sur-Avre et des champs captants de la région de Dreux et de toute l’eau souterraine acheminée jusqu’au réservoir de Saint-Cloud. Les débits étant très variables suivant les saisons, des adductions complémentaires ont été créées dans les vallées de l’Avre à Vert-en-Drouais et de l’Eure à Montreuil. Depuis le centre de production de Montreuil-sur-Eure où se concentre l’essentiel des effectifs, l’unité Ouest gère et entretient un linéaire de 102 km d’aqueduc principal sur un territoire tout en longueur : les sources et les champs captants sont répartis sur 4 départements (Eure, Eure-et-Loir, Yvelines, Hauts-de-Seine)
Eaux de rivière ou eaux de sources ?
Au début du Second Empire, Paris ne disposait pas d’approvisionnement en eau suffisant. La population était alors de 1,2 million de personnes.
Dès son arrivée à la Ville, Haussmann se préoccupe de l’alimentation en eau. Des puits artésiens sont forés, des canalisations sont systématiquement mises en place dans les égouts. Une première idée, l’utilisation de l’eau de la Seine, fut proposée mais le projet refusé par Napoléon. Le Préfet proposa alors de rechercher des sources, même lointaines mais pures, fraîches et abondantes. De nombreux jaugeages eurent lieu qui se traduirent par de très nombreux projets chiffrés. Mais il lui faudra huit ans de patience et de persuasion pour obtenir l’autorisation de capter ces sources. Il y avait encore de fervents défenseurs de l’utilisation des eaux de rivière, car « mieux ré-oxygénées que les eaux de source »… Mais il se dit à cette époque que la consommation d’eau douce de source est considérable dans les quartiers riches et pendant ce temps on fait boire l’eau de rivière (la Seine) à la majorité de la population travailleuse…
En 1884, deux projets proposant de transporter des sources captées en Bourgogne sont présentés. Il s’agissait d’assurer le transport de 200 000 mètres cubes par jour. Le Conseil Municipal, repoussa ces derniers et demanda de nouvelles études.
Entre-temps, Ernest Couche ingénieur en chef du Service des eaux et Georges Bechmann avaient découvert en septembre 1882 dans le bassin de l’Eure, quatre sources débitant plus de 100 000 mètres cubes par jour. Et en 1884, ces sources furent acquises discrètement par la ville de Paris.
Le 8 décembre 1884, le Préfet Eugène Poubelle exposa les conclusions des derniers projets étudiés :
- La Champagne (Provins, vallées de la Voulzie et de ses affluents , le Durteint et le Dragon devaient fournir 12 000 mètres cubes
- La Bourgogne (l’Yonne et la Cure) donneraient 110 000 mètres cubes.
- La Normandie (vallées de la Vigne et de l’Avre) fourniraient 110 000 mètres cubes.
La diversité des approvisionnements assurait une sécurité en divisant les risques ; celui de l’Ouest étant théoriquement hors de portée d’une invasion ennemie, éventualité vraisemblable à l’époque. La solution bourguignonne, trop lointaine, fut abandonnée, les deux autres chiffrées à 30 millions pour l ‘Ouest et 32 pour l’Est.
Deux évènements hâtèrent la décision de réalisation des travaux : une épidémie de choléra à Paris fin 1886 (Elle renforça la supériorité de l’eau de source sur l’eau de rivière) et l’exposition universelle prévue pour 1889 qui allait attirer à Paris nombre de visiteurs français et étrangers.
Les Conseillers de Paris décidèrent la réalisation de la seule branche Ouest, celle de l’Avre.
L’aqueduc de l’Avre en question
Le projet de loi pour la déclaration d’utilité publique exposé le 12 janvier 1888 , ne se vit adopté que le 5 juillet 1890 après bien des réticences véhiculées par un sentiment de spoliation des habitants de la région.
Le projet d’exécution fut présenté le 17 décembre 1890 par Edmond Humblot, directeur des Eaux.
Alors que toutes ces décisions avaient demandé dix ans, les travaux dirigés par Fulgence Bienvenue, futur « père » du Métropolitain, s’échelonnèrent de 1891 à mars 1893 soit seulement deux ans. Il s’agit là d’une prouesse technique. De très nombreux ouvriers furent embauchés spécialement pour ce chantier titanesque pour l’époque.
Longueur |
102 km |
Capacité de transport |
160 000 m3/jour |
Diamètre |
1,70 m sur les 20 premiers km, 1,80 m sur le reste |
Pente |
40 cm/km sur les 20 premiers km, 30 cm/km sur le reste |
Arcades |
380 m en divers tronçons |
Siphons |
9 pour une longueur totale de 7480 m |
l'aqueduc en chiffres
L’aqueduc et le Conseil municipal de Villiers
La construction de l’aqueduc, vue à travers les compte-rendus du Conseil de l’époque, est très curieuse. Tout d’abord, en août 1891, on peut lire cet étonnant exposé du Maire à ses Conseillers :
« Mr le Maire expose à l’assemblée
1ère : Que la sécurité publique au point de vue des dépradations (!) et de la morale est en souffrance depuis le commencement des travaux relatifs à la dérivation des eaux de l’Avre et de la Vigne, laquelle dérivation traverse le territoire de Villiers-le-Mahieu, attendu que ce travail occupe des ouvriers terrassiers -vulgairement appelés cheminots– qui trois jours la semaine se livrent à des actes la plupart du temps inqualifiables.
2ème : Que la brigade de gendarmerie de La Queue-lez-Yvelines réduite à quatre hommes par suite d’accident survenu au cinquième gendarme, a beaucoup à faire puisqu‘elle doit par ses rondes et tournées assurer la tranquillité à huit communes du canton de Montfort l’Amaury, toutes d’une étendue relativement considérable et que par cela même il lui est impossible d’assurer par un service constant la sécurité aux populations éprouvées.
3ème : Engage l’assemblée à demander à Mr le Préfet la création momentanée d’une brigade supplémentaire.
Le Conseil ouït l’exposé de Mr le Maire
Considérant que la proposition de Mr le Maire est fondée, qu’il est urgent qu’un service soit établi pour mettre fin aux horreurs étalées journellement aux yeux de public
Prie Mr le Préfet … »
Les années suivantes furent consacrées aux négociations en vue d’obtenir des indemnités liées aux travaux eux-mêmes :
En février 1892 fut demandée une « indemnité de paysage » : « Le Conseil approuve la proposition de Mr Mancel, expert de la ville de Paris, chargé des expropriations relatives à la dérivation des eaux de la Vigne d’indemniser la commune de Villiers-le-Mahieu pour la somme de cent cinquante francs : indemnité pour occupation du sous-sol et des chemins ruraux et vicinaux… ». Cet accord fut sans doute renégocié car, en 1894 on trouve encore trace de cet accord « définitif » avec renoncement à toute réclamation.
Et lors de la même séance du Conseil, une autre indemnité spéciale est réclamée au département ou à l’entrepreneur de la ville de Paris « pour procéder aux réparations nécessitées par les dégradations dues aux nombreux charriages opérés lors du dégel pour le transport des matériaux ».
Et puis une dernière tentative apparaît avec la demande d’une « indemnité industrielle pour couvrir les frais des réparations des chemins endommagés par les transports industriels ».
Captages et forages
Le captage de l’aqueduc de l’Avre collecta les sources de la vallée de la Vigne, du Blaou, du Chêne, de Gonderolles, d’Erigny, des Graviers, de Foisys et de Rivière auxquelles fut réunie celle du Breuil de la vallée de l’Avre.
Pour la plupart, les sources sont des résurgences de rivières dans le bassin versant. L’eau des rivières s’engouffre dans le sous-sol crayeux et apparaît sous forme de sources après un parcours souterrain pouvant atteindre 15 kilomètres.
Deux ouvrages secondaires furent nécessaires pour diriger les eaux vers l’aqueduc principal, construit tout en maçonnerie, d’une section de 1,70 mètre et d’une longueur de 102 kilomètres :l’aqueduc de la Vigne de 1700 mètres et celui du Breuil de 1400 mètres Son fonctionnement est gravitaire (dû au seul poids de l’eau) jusqu’à Saint-Cloud grâce à une différence de niveau de 39 mètres, soit une pente de 38 cm au kilomètre ou 0,38 mm au mètre !!!
Radiographie de l’aqueduc
L’aqueduc est quasiment parallèle au tracé de la voie ferrée. Il suit le coteau de la rive droite de l’Avre, franchit l’Eure à proximité de Dreux (Montreuil) sur un très joli ouvrage en arcades, traverse l’enfilée de plateaux jusqu’à Versailles en évitant le parc du château pour terminer son périple dans les réservoirs de « Montretout » à Saint-Cloud.
Le dernier tronçon, creusé dans des terrains tendres constitués de sable, de marnes blanches et d’argile verte présenta les plus importantes difficultés de réalisation. L’aqueduc fut construit dans 65 kilomètres de tranchées et 26 kilomètres de souterrains, le plus long s’étendant entre Versailles et Saint-Cloud sur 7300 mètres. Neuf siphons représentant 7480 mètres et 380 mètres d’arcades permirent le franchissement d’obstacles naturels. Le franchissement de la vallée de l’Eure offre une vue sur l’ouvrage avec les arcades les plus spectaculaires et les plus élégantes.
Les passages en siphon sont réalisés avec deux conduites parallèles distantes de cinq mètres, en fonte. Les trois siphons les plus importants franchissent la vallée de l’Eure sur 1708 mètres avec une partie en arcades, la vallée de la Vesgres sur 2150 mètres et la vallée de la Mauldre sur 922 mètres.
La vitesse de l’eau est en moyenne de 2,25 km/heure. Une goutte d’eau captée dans les sources à l’origine arrive à Saint-Cloud après une quarantaine d’heures de transport !
Plus tard entre 1970 et 1972, l’aqueduc permettant un nouvel apport d’eau, des champs captants furent réalisés dans les vallées de l’Eure et de l’Avre : Montreuil-sur-Eure comprend 10 puits, avec des débits nominaux de 100 à 200 mètres cubes par heure, et 3 groupes électropompes de 520 mètres cubes par heure. Vert-en-Drouais possède 6 puits avec des débits nominaux allant de 100 à 400 mètres cubes par heure ainsi que 2 groupes électropompes de 1040 mètres cubes par heure.
Les puits verticaux d’une section de 1 mètre, traversent la craie jusqu’à une vingtaine de mètres de profondeur. La superficie de ces champs captants est de 166 hectares dans la région de Verneuil-sur-Avre, 54 hectares à Montreuil et 38 hectares à Vert-en-Drouais. Un pompage assure le relèvement de l’eau vers l’aqueduc.
Le transport gravitaire
Dans un aqueduc gravitaire, l’eau s’écoule à l’instar d’une rivière, d’un point haut - le lieu de production – à un point bas – les réservoirs de Paris.
L’adaptation aux dénivelés du parcours permet une pente régulière. Ainsi, les sources de l’Avre convergent-elles à une altitude de quarante mètres environ supérieure à celle de leur point d’arrivée, la réserve de Saint-Cloud.
Gestion centralisée grâce à des capteurs
Le centre de gestion technique centralisée est installé sur l’aqueduc principal à Montreuil-sur-Eure. Douze automates répartis le long de l’ouvrage lui fournissent les informations nécessaires à une bonne gestion. Un laboratoire de surveillance de l’eau y est installé. Ses missions sont :
- de mesurer les qualités physico-chimiques et bactériologiques des eaux
- de contribuer à la surveillance sanitaire des périmètres de protection.
Des périmètres de protection éloignée, couvrant plusieurs millions d’hectares, assurent une protection totale de ces eaux : la réglementation strictement observée par une surveillance constante des alentours des périmètres de captage ainsi qu’une concertation permanente vers les acteurs du monde rural concourent à maintenir une qualité de l’eau captée.
Blaou |
24 624 m3/jour |
Champs captants de Vert-en-Drouais |
24 000 m3/jour |
Champs captants de Montreuil-sur-Eure |
20 000 m3/jour |
Rivière |
17 280 m3/jour |
Source du Breuil |
17 000 m3/jour |
Forsys |
11 232 m3/jour |
Erigny |
9 504 m3/jour |
Graviers |
7 776 m3/jour |
Gonderolles |
4 752 m3/jour |
Chêne |
2 333 m3/jour |
capacité de production
Surveillance, entretien des ouvrages de transport
L’aqueduc acheminant l’eau jusqu’aux réservoirs est étroitement surveillé. En surface, des chefs d‘équipes et des cantonniers de dérivations assurent l’entretien des divers ouvrages jalonnant l’aqueduc tel que regards, têtes de siphon, arcades… Ils surveillent les alentours lors de projets ou travaux réalisés par des concessionnaires ou particuliers, pour prévenir toute situation susceptible de créer un risque de pollution.
A l’intérieur, un ouvrage centenaire ne peut traverser les décennies sans dommages. Ceux-ci se traduisent généralement par des fissurations préjudiciables à sa bonne tenue et susceptibles de permettre des échanges d’eau avec les terrains avoisinants. Pour y remédier, il existe une gamme étendue de techniques allant des traditionnelles comme le simple rebouchage, les enduits en voûte ou les injections de blocage, jusqu’aux innovantes tel que le chemisage intérieur avec de la résine époxy armée de fibres de verre ou de polyéthylène haute densité.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les travaux de rénovation de l’aqueduc de l’Avre (Voir les photos en dernière de couverture). Deux tranches de travaux ont été planifiées alors que l‘eau n‘alimentait plus l‘ouvrage pendant cette période :
- A Dreux 1035 mètres de canalisation ont été remplacés par des tuyaux en béton et âme de tôle,
- Sur les communes de Villiers-le-Mahieu et d‘Autouillet, 1507 mètres ont été remplacés par des tuyaux en fonte garni de béton spécial limitant la corrosion.
Une première tranche de travaux avait été effectuée dernièrement de part et d’autre de la route départementale menant à Garancières.
Les tuyaux installés, d’un poids de 8 tonnes, d’une section de 1,8 mètre et d’une longueur de 8 mètres ont été fabriqués à Pont-à-Mousson. C’est donc de l’ordre de deux cents tuyaux qui ont été acheminés par deux cents camions et mis en place par 2 sociétés au cours des 5 semaines qu’ont duré les travaux. Au moins autant d’autres camions ont été nécessaires pour apporter les matériaux de terrassement et évacuer les résidus du chantier.
Des matériels géants ont été employés : vous avez peut-être aperçu les chargeurs Volvo sur leurs grosses roues. Et bien sachez que la pelleteuse les remplissait en trois coups de godet de 2 m3 chacun (25 brouettes dans un godet !). Une grue de 35 tonnes, présente sur le chantier, fut en particulier utilisée pour déplacer délicatement un regard en brique rouge donnant accès à l’aqueduc, mais douze tonnes furent suffisantes pour l’arracher à son socle de béton (voir photo).
La tranchée, profonde de 6 mètres, était nivelée au laser selon une pente de 0,3 millimètres par mètre. Chaque tuyau y était délicatement déposé par une grue et positionné dans l’axe voulu et selon la pente voulue grâce au repère d’un rayon laser. La poussée hydraulique d’une pelleteuse suffisait à l’emboîter dans la gorge du tuyau précédent. Il n’y a donc aucun rapport entre ce chantier et celui de la construction de l’aqueduc au 19éme siècle, si ce n’est sa finalité : alimenter Paris en eau potable…
Pendant ces travaux, les 60 kilomètres de galerie allant jusqu’à Saint-Cloud ont été examinés de l’intérieur par des spécialistes. Cette inspection a révèlé les sections nécessitant des travaux immédiats et ceux pouvant attendre quelques années encore. ■
Cet article a été réalisé grâce à la documentation aimablement mise à notre disposition par la société SAGEP.
Pour en savoir plus :
www.sagep.fr
L’eau de Paris par Marc Gaillard (Ed Martelle)